"La durabilité et l'innovation sont les deux faces d'une même médaille".

ISPO.com : Rudolf, vous avez passé près de trois décennies chez Apple, où vous avez façonné le parcours d'Apple en matière de développement durable. Pouvez-vous nous parler de ce parcours ?

Rudolf Auer : J'aime que vous utilisiez le mot " parcours", car c'est exactement ce qu'il a été. Lorsque j'ai rejoint Apple en 1995, le développement durable ne signifiait qu'une chose : la conformité. Nous respections les réglementations, mais il n'y avait pas encore de stratégie globale, ni de vision audacieuse. Les choses ont changé vers 2003, lorsque le développement durable a commencé à bénéficier d'un véritable soutien de la part de la direction. Nous avons commencé à prendre les devants, en éliminant progressivement le PVC, en développant des analyses du cycle de vie pour chaque produit et en comprenant notre empreinte carbone bien avant que cela ne devienne la norme.

Le véritable tournant s'est produit en 2013, lorsque Tim Cook a intégré Lisa Jackson, qui travaillait auparavant pour l'administration Obama, dans l'équipe de direction. Le développement durable est devenu l'une des valeurs fondamentales d'Apple. C'est à ce moment-là que nous avons commencé à prendre des engagements audacieux, comme devenir neutre en carbone sur l'ensemble de notre chaîne d'approvisionnement d'ici 2030 et passer à des matériaux 100 % recyclés. Rétrospectivement, ces 27 années ont été remarquables. J'en suis très reconnaissant,

Apple est célèbre pour son design et son innovation. Dans quelle mesure l'innovation et le développement durable sont-ils étroitement liés ?

Auer : Ils sont indissociables. On ne peut pas faire de réels progrès en matière de développement durable sans innovation. Supposons que vous souhaitiez utiliser davantage de matériaux recyclés. Vous devez vous assurer qu'ils sont aussi performants que les matériaux vierges, qu'ils sont beaux, qu'ils durent longtemps et qu'ils sont disponibles à grande échelle. Cela exige de l'innovation dans les domaines de la conception, de la science des matériaux et de la gestion de la chaîne d'approvisionnement. La durabilité donne un but à l'innovation.

Et cela va dans les deux sens : les entreprises qui ont déjà une forte culture de l'innovation ont beaucoup plus de chances de réussir dans le domaine du développement durable. L'innovation est véritablement le moteur de la durabilité

Quel a été le rôle de la direction d'Apple dans la réalisation de cet objectif ?

Auer : Le soutien de la direction est crucial. Sans leadership, on obtient des améliorations. Avec un leadership, vous obtenez une transformation.

Il faut un engagement de haut en bas, des objectifs clairs auxquels toute l'organisation se rallie. Chez Apple, cela signifie que le développement durable n'est pas l'apanage d'un département, mais qu'il s'agit d'un objectif à l'échelle de l'entreprise, avec des cibles mesurables.

La création d'alliances internes semble être la clé de cette transformation. Comment avez-vous procédé ?

Auer : Le développement durable est transversal par nature. On pourrait dire que le développement durable n'a pas de département, il est présent dans tous les départements. Il faut s'engager avec la conception des produits, le service juridique, le marketing et les relations publiques. Il ne suffit pas d'être compétent, il faut aussi être passionné et s'intéresser véritablement à la situation globale de l'entreprise. J'ai toujours tendu la main de manière proactive, j'ai organisé des conversations individuelles et j'ai écouté.

Parfois, il faut laisser les autres s'attribuer le mérite, ce qui permet d'instaurer un climat de confiance. Et vous vous préparez minutieusement : vous connaissez vos alliés, vous comprenez les objections et vous avez toujours un plan B pour les réunions. C'est ainsi que l'on transforme une idée en une dynamique organisationnelle.

Qu'en est-il des alliances externes, avec des concurrents ou des décideurs politiques ?

Auer : Le véritable changement ne s'arrête pas aux frontières de l'entreprise. Pour influencer la réglementation, il faut s'aligner même sur les concurrents par le biais d'associations commerciales ou de groupes industriels. La confiance est utile, mais l'alignement des intérêts est essentiel. Tout le monde doit y trouver son compte.

Une grande partie de ce travail se fait en coulisses, en préparant les arguments, en harmonisant les positions, en s'assurant que tout le monde comprend les conséquences d'une politique. C'est un peu comme un sherpa : on fait un gros travail de fond pour que tout le groupe puisse atteindre le sommet ensemble.

De nombreuses marques ne savent pas encore comment intégrer véritablement le développement durable dans leur stratégie d'entreprise. Quels sont vos conseils ?

Auer : Commencez par vous poser des questions honnêtes : Quel type d'entreprise sommes-nous ? Quel est notre modèle d'entreprise ? Sommes-nous axés sur les coûts ou sur l'innovation ? Ensuite, faites une analyse SWOT (forces, faiblesses, opportunités, menaces) et voyez comment le développement durable correspond à vos valeurs.

Et oui, les indicateurs clés de performance sont importants, car ce que vous ne mesurez pas, vous ne l'atteindrez jamais.

Un objectif global simple - comme devenir neutre en carbone d'ici à 2030 - est puissant. Mais vous devez le décliner par département, suivre les progrès tous les trimestres et célébrer les étapes importantes.

Vous m'avez dit que le changement de conduite peut parfois être "dur". Qu'entendez-vous par là ?

Auer : Le changement crée toujours des tensions. Les gens ne se sentent pas en sécurité lorsque les structures familières changent. Par conséquent, même si les décisions et leur mise en œuvre doivent parfois être énergiques, la culture doit rester respectueuse. Les dirigeants doivent faire preuve de transparence, de détermination et d'authenticité. Seuls les dirigeants qui joignent le geste à la parole instaurent la confiance qui rend possible une véritable transformation.

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Qu'est-ce qui vous a permis de rester motivé pendant toutes ces années ?

Auer : La passion. Même lorsque les progrès étaient lents ou que des revers se produisaient, je croyais en la mission et en l'entreprise. La passion doit aller de pair avec l'humilité, accepter que certaines choses prennent du temps. Et la passion seule ne suffit pas, il faut se ressourcer. Si l'on ne puise son énergie que dans le travail, on s'épuise, c'est l'équilibre ailleurs qui permet de revenir plus fort.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes occupant des postes de niveau intermédiaire qui souhaitent faire la différence ?

Auer : Travaillez dur, soyez visible et acceptez des projets difficiles. La visibilité permet de gagner en crédibilité. Une fois que les gens verront vos résultats, vos idées seront prises en compte. Commencez modestement, dans votre propre sphère d'influence, et trouvez des alliés. Et si votre idée mérite une audience plus large, trouvez un moyen intelligent de vous faire entendre.

Enfin, pour ce qui est de l'avenir, qu'est-ce qui vous inquiète et qu'est-ce qui vous donne de l'espoir ?

Auer : Du côté des inquiétudes, les conflits géopolitiques et les crises à court terme détournent l'attention et les ressources de la durabilité à long terme. Les décideurs politiques se concentrent sur les problèmes immédiats plutôt que sur ce qui se passera dans 10 ou 20 ans.

Mais je suis optimiste. Les énergies renouvelables atteignent la parité des coûts, même dans les régions moins ensoleillées comme l'Europe centrale. Les progrès technologiques, notamment en matière de gestion de l'énergie et d'IA, accéléreront les solutions. Chaque jour ajoute une nouvelle goutte au verre, qui se remplit de plus en plus.

Le verre est donc à moitié plein ?

Auer : Plus qu'à moitié plein, il se remplit chaque jour davantage. Le progrès de l'humanité dépend de cet état d'esprit.

Quelle est l'importance de la collaboration, même avec les concurrents, dans la conduite d'un changement durable ?

Rudolf Auer : Elle est extrêmement importante. Les concurrents peuvent s'inspirer mutuellement. Certaines entreprises sont de véritables phares dans leur secteur et le partage des meilleures pratiques aide l'ensemble de l'industrie à progresser. Dans l'industrie du sport et de l'outdoor, la performance et la durabilité vont de pair, et la collaboration rend les deux plus fortes. C'est pourquoi les salons comme ISPO sont si précieux : ils ne portent pas seulement sur les produits, mais aussi sur l'apprentissage, la connexion et l'observation directe de l'innovation.

À l'ISPO 2025, la zone des solutions de durabilité servira d'espace pivot où la durabilité stimule l'innovation. Les marques y présenteront des solutions innovantes pour réduire l'impact sur l'environnement. Cette zone constitue une plate-forme dynamique permettant aux professionnels d'explorer la manière dont les pratiques durables peuvent améliorer les performances des produits tout en s'alignant sur les demandes du marché. En tant qu'événement phare international du commerce mondial du sport, ISPO 2025 favorisera la collaboration et le partage des connaissances, en montrant comment la durabilité transforme l'industrie du sport en un secteur responsable et tourné vers l'avenir. Soyez présent - du 30. NOV. - 02. DEC. à Munich !