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Nolan Miton
INTERVIEW/03/08/2024

"Faites de la sobriété le nouveau cool !"

Julien Durant, PDG de Picture Organic Clothing
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Dans un monde où la surproduction et la pollution sont monnaie courante, Picture Organic Clothing envoie un signal fort. "Make sobriety the new cool !" - avec ce slogan provocateur, le CEO Julien Durant met au défi l'industrie de repenser sérieusement son empreinte écologique.

Julien Durant, Jérémy Rochette et Vincent André sont les trois fondateurs de la marque Picture™. Passionnés de skateboard et de snowboard,  en 2008 ils créent une marque de sport outdoor qui investit les sujets de la durabilité et du progrès continu. Picture a une culture d’entreprise forte et engagée qui soutient une industrie outdoor sobre au style contemporain. De plus, c’est une marque qui se prépare aux enjeux de réglementation européennes et aux objectifs d’amélioration de transparence.

Nous avons rencontré Julien Durant, CEO de la marque, qui affiche la modernité du management et la promesse tenue de la marque employeur responsable. Il nous parle de son parcours réinventé, grâce à la volonté d’entreprendre avec une proposition de valeur claire: Ride, Protect & Share.
 

Quelle était votre motivation pour créer Picture ?

“Jérémy, Vincent et moi avons une passion pour la glisse : montagne et mer ! Nous avions le doux rêve de vivre de notre passion. Nous étions tous les trois à Clermont-Ferrand et nous partagions l'envie de créer quelque chose pour casser les codes. À l'époque, Jérémy, issu d’une famille dans le domaine de la construction, était architecte et réalisait de la maîtrise d'œuvre en plus de ses études. Vincent était le plus jeune, au lancement de Picture il avait tout juste 19 ans. De mon côté, après une école de commerce, j’étais dans le marketing produit pour le secteur agroalimentaire. Nous étions tous les trois fans des marques communautaires et authentiques comme Volcom™ ou Burton™. A ce moment-là, Patagonia™, marque très engagée, s’adressait à une communauté plus âgée qu’aujourd’hui.

Nous sommes arrivés avec une marque de glisse 100% matières biologiques et recyclées ainsi qu’avec une proposition de valeur radicale. Notre stratégie RSE était claire et visionnaire : Si un produit ne peut pas répondre à nos critères, on ne le fait pas. Nous avions senti le besoin et la nécessité de nous engager dans le monde des action sports de montagne.
Cela nous a permis de nous différencier.” 



Qu'auriez-vous fait différemment avec les connaissances d'aujourd'hui ?

“On ne changerait pas grand-chose car chaque étape nous a fait progresser. En faisant des erreurs, on apprend à reconsidérer ses certitudes. Nous avons pu évoluer en faisant du “test and learn” grâce au contact des CEO de l’industrie : Jean-Marc Pambet chez Salomon, Douglas Tompkins de The North Face et Georges Pessey, le fondateur du bureau d’études Jonathan & Fletcher ont été des rencontres importantes.  Il y a plus de hauts que de bas et le plus gros challenge, c’est l’humain ! Pour une entreprise, le sentiment d'appartenance est primordial. Nous sommes 100 personnes au siège et nos produits sont vendus dans 4 pays avec 2500 points de vente.

Ce sont des challenges de ressources humaines avec des éléments non rationnels et émotionnels. Nous devons faire beaucoup d’onboarding d’équipe pour les ancrer dans la stratégie d’entreprise. Après le statut de départ, la certification B Corp™ a été une étape très structurante pour tous. Nous sommes récemment re-certifié avec une amélioration de points. Aujourd’hui, Bcorp est devenu une deuxième source de motivation pour notre vision et nous le diffusons aux équipes qui s’impliquent. Les enjeux sont systémiques et cela nous a aidé à sortir de certaines caricatures sur les modèles d’affaires responsables.“

Le siège de Picture proche de de Clermont-Ferrand conçu par son cofondateur Jérémy Rochette.
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Picture

Aujourd'hui, la durabilité ne suffit plus comme argument de vente. Comment comptez-vous attirer de nouveaux clients ?

“C’est clair que d’ici 2030 une marque non engagée sera éjectée du marché sauf peut-être pour du très bas prix. Ensuite pour garder de la désirabilité sur le marché, il faut séparer engagement RSE et désirabilité. La désirabilité va passer par l’appétence de la jeunesse à consommer telle ou telle marque, pour entraîner les générations plus âgées à acheter ces mêmes marques. La RSE, ce sont les actes et les progrès des business modèles étant moins basés sur le volume mais davantage sur le travail des matériaux et des produits. Aujourd’hui la RSE c’est être avant-gardiste et avoir une légitimité B2B. Nous essayons d’entretenir cette passerelle en dissociant RSE et désirabilité. Nous travaillons aussi de nouveaux leviers comme, par exemple, proposer des produits sur des segments non dépendants de la neige. Nous lançons en ce moment la collection rando/hike. Nous nous interrogeons sur : comment accentuer l’engagement historique de la marque en développant avec l’ensemble de nos parties prenantes un modèle d'affaires qui tend à réduire la croissance volumique, accélérer la circularité, assurer la proximité avec le vivant, au service d’une consommation plus sobre et juste ?“

Avec sa collection de randonnée, Picture s'attaque à de nouveaux segments.
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Alexis ADRIAN

Il est ancré dans l'ADN de Picture de préférer en faire moins, mais de le faire mieux. Vous y parvenez en sourçant dans un périmètre restreint et en protégeant les ressources. Comment parvenez-vous à challenger vos objectifs ?

“Le consommateur est bercé au milieu de milliers de messages et de situations de greenwashing. Pour plus de crédit sur la dimension responsabilité sociétale et environnementale, nous avons besoin que le fond, le produit et le message de communication soient justes. Pour cela, la transparence est la clef et pour un engagement clair, il faut garder une longueur d'avance. Chez Picture nous avons de quoi répondre : en partageant la difficulté à mener les projets et sur la façon de progresser. En termes de capacité à communiquer clairement, nous sommes parfois un benchmark de transparence sur le marché outdoor B2B.


De plus, nous entendons souvent des attaques sur le sourcing lointain alors que certains modèles d'affaires ne permettent pas de fabriquer en France. Par exemple, nous avons une distribution wholesale et sommes vendus dans plusieurs pays, ce qui demande une cascade de marge et nous ne faisons que très peu de vente en D2C. Le rapport qualité-prix du durable chez nous est basé sur notre modèle d'affaires international, sourcing et production localisés, durabilité physique et usage/entretien de nos articles.

Ensuite, comparons ce qui est comparable : d’après nos bilans carbone scope 3, seulement 1,5 % d’impact carbone sur notre modèle est lié au transport. Ce qui compte aussi, ce sont les aspects sociaux et ils sont à prendre en compte de façon complémentaire. C’est pour cette raison que nous nous sommes très tôt impliqués avec la Fair Wear Foundation : travailler l’envers du décor en amont est essentiel. Nous essayons surtout de créer de la valeur au global pour éviter et réguler la surproduction.”

Quelles sont les tendances et les défis que tu vois pour le secteur de l'outdoor ?

“Nous avons distingué deux univers : D’un côté, outdoor arrogant et performance, de l’autre, outdoor playful avec une culture board sans prise au sérieux. L’outdoor playful c'est notre ADN “action sport” dans l’outdoor. Nous souhaitons renforcer notre communication sur ces côtés décalés et être engagés pour continuer à faire des produits outdoor. Chez Picture, nous défendons un aspect communautaire de la glisse. La désirabilité de la marque est plus délicate quand on fait des produits techniques colorés et playful car il faut entraîner nos consommateurs dans leur communauté à travers des actions différentes.

Jouer le rapport au “moment de qualité”, ce n'est pas un exploit de performance en soi. On se doit de proposer des gammes de produits performants mais pas hyper performant car ce n’est pas notre point de différenciation et on n’est pas attendu là-dessus. Notre clientèle nous suit pour notre  dimension accessible et playful. De notre côté, nous cherchons à diffuser le message : Faites de la sobriété le nouveau cool pour en faire une norme culturelle.” 

En tant que marque engagée et innovante, vous avez décidé d'investir dans des modèles commerciaux alternatifs, tels que la location ou la circularité. Que se cache-t-il derrière le programme 5R et quels sont les principaux avantages de cette stratégie ?

"Nous menons le programme 5R pour : Reduce, Reuse, Repair, Rent, Recycle depuis un an. De façon synthétique :

 

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Reduce

Cela passe par deux phases. La première, c’est la réduction directe et factuelle de l’empreinte carbone avec une stratégie carbone autour des produits. Idem pour les substances chimiques et ennoblissements. À ambition 2030, nous portons l’objectif de 100% de nos produits soumis à un suivi de RSL (Restricted Substances List) avec procédure de tests en laboratoire. 

La seconde phase consiste à encourager la réduction du besoin de consommation grâce à la versatilité maximum des produits. Aujourd'hui d’un point de vue B2B général, un produit a un seul usage et cela doit évoluer. D'où le message “Make sobriety the new cool” comme ligne directrice en interne aussi. 

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Reuse

Grâce à l’offre de vente seconde main en collaboration avec Everide nous proposons une alternative et un relai pour les particuliers.

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Repair

L’objectif est l’augmentation de la durée de vie d'un produit. Depuis 3 ans nous avons mis en place une garantie de réparation rétroactive sur les produits techniques y compris les combinaisons de surf. Chez nous, 85% de la mise en marché est du produit technique. Dans les réparations, on observe 98% de problèmes de zip et de curseur, ainsi que des déchirures liées à l’usage.

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Rent

Nous proposons la location depuis 2020. D’après une étude prospective de Google™, à 2050 on sera dans une consommation d’usage et non de produits. On étudie une stratégie pack de consommation sur un usage bien précis pour rendre l’offre plus désirable, car il y a un besoin d'aiguiller le consommateur.

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Recycle

Dans nos achats, on a 85% de matière synthétique recyclée en postconsommation, on propose des emballages réutilisables... On teste des développements et innovations, on prend le sujet à bras-le-corps.“

Le programme 5R doit conduire Picture vers un avenir plus durable.
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Antoine Schmidt

Pictures s'engage également auprès d'"En Mode climat", qui impose des exigences fortes au secteur, comme le fait de dire que la neutralité carbone n'existe pas. Que faites-vous pour réduire les émissions de CO2 ?

“Florian Palluel, notre responsable développement durable a pour ordre de   mission d’engager les équipes avec des échéances pour un succès collectif. Au début j’étais réticent à une participation associative car je trouve que c’est souvent pour se donner bonne conscience et je préfère une action concrète. Lorsque Florian m’a parlé de En Mode Climat, (l’association pour les marques de mode qui agit comme une coalition avec des groupes de travail pour un lobbying vertueux et lutter contre l'impact environnemental en changeant les lois) alors j’étais favorable. Notre contribution s'incarne avec une action claire car Florian bénéficie d’une mise à disposition financée par Picture pour participer à des actions tangibles. Avec les équipes ressources humaines et recrutement de En Mode Climat, il donne de son temps pour changer les règles du jeu. Leur objectif est de recruter des grandes marques et d'intégrer de nouveaux paramètres de longévité qui ne sont pas engagés par les politiques. Cette action apporte des propositions de valeur sur l’usage et la diminution de l’empreinte CO2.”

Pourquoi Picture, déjà très axée sur les objectifs scientifiques, participe au programme de la Convention des Entreprises pour le Climat qui défend les valeurs de l’entreprise régénérative ?

“L’entreprise régénérative rend plus que ce qu’elle extrait. Notre entreprise ne sera jamais un modèle régénératif car nous extrayons et nous produisons un article. Nous participons comme modèle contributif, pas comme un modèle régénératif au sens de l’agriculture régénérative par exemple. Nous mettons en place certaines possibilités de schéma de valeur responsable. Dans le textile c’est limité, car c’est la technologie et l’innovation qui vont être à l’initiative des projets ; ce n’est pas encore abouti à ce niveau. Le programme de la CEC(Convention des Entreprises pour le Climat) est rassurant et nous a apporté un maintien de valeurs sans extraction démesurée de ressources naturelles. Elle permet de travailler sa vision à 2030 et de se confronter à un écosystème d’entreprises très variées. De notre côté, la feuille de route est orientée sur la supply chain. Florian Palluel est chargé de sa mise en place en interne et du travail resserré sur la gouvernance. Cela concerne la génération de profit à long terme, la stratégie RH pour les multi-sites, les relations des équipes en interne, etc.”

"Pour cette feuille de route à 2030 nos leviers sont : 

  • Faire évoluer l’usage versus le produit
  • Influencer le marché sur les pratiques  
  • Rediriger le management et les ressources humaines pour une transformation de l’industrie sur toutes les actions de l’entreprise
  • La prise en compte de l’approche “limite planétaire”, pour aller plus loin au niveau de la compréhension et de notre impact sur l’eau et la biodiversité”

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels le secteur de l'outdoor est actuellement confronté ? Comment Picture va-t-il évoluer d'ici 2030 ?

“Nous souhaiterions que l’implication de Picture ait accompagné l'émergence de réglementations européennes favorisant la baisse de la consommation de vêtements. Les pratiques de sobriété feraient légion et seraient devenues la norme culturelle et économique. Pour 2030, nous allons en partie nous concentrer sur un marché avec une ambition raisonnable, intégrant un modèle d’affaire non volumique. Ou encore, plus de prestations de service comme l’entretien ou la réparation, avec par exemple la ré-imperméabilisation des pièces outdoor. Nous voulons que ces pratiques de consommation d’usage fassent partie intégrante de notre chiffre d'affaires. Je souhaite aussi une recertification Bcorp au delà des 120 points.”

Pour ses produits, Picture accorde une garantie de réparation à vie.
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Picture

La France accueillera les Jeux olympiques d'été en 2024 et probablement aussi les Jeux d'hiver en 2030. Qu'est-ce que cela signifie pour Picture ?

“Les Jeux Olympiques nous intéressent mais pas sur un plan business car nous ne sommes pas positionnés sur de l’équipement de performance pure. Ce qui nous concerne, ce sont les terrains de jeux. Nous avons participé à la tribune de Outdoor Sports Valley appelant à des JO « respectueux des limites planétaires ». Cette proposition contient des éléments de la charte signataire pour un mouvement engagé avec une approche systémique de l'événement. Que ce soit sur le territoire ou le lieu de pratique locale, l’enjeu est de pérenniser cette belle opportunité. C’est un événement planétaire qui démocratise le sport. Il faut le soutenir sans en oublier les conséquences, avec les moyens à la fois financiers et environnementaux qui préservent nos lieux de pratique et de vie.”

 


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